La pénurie guette le marché du vélo

https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/11/28/la-penurie-guette-le-marche-du-velo_6061472_3234.html

 

La pandémie de Covid-19 provoque parallèlement des difficultés de production et une hausse de la demande dans le secteur du cycle.

Publié le 28 novembre 2020 à 10h24 - Mis à jour le 29 novembre 2020 à 12h20

 

 « J’ai un peu trop tergiversé. Puis, quand je me suis décidé, il n’y avait plus rien en stock. » A la mi-novembre, Quentin Neurohr apprend que le vélo de ses rêves, de la marque espagnole Orbea, ne lui sera livré qu’en avril 2021. Pendant quelques mois, ce Lyonnais va devoir se contenter de son « vieux vélo d’adolescent, qui devient vraiment trop petit ». Les quelques naïfs qui imaginent encore placer une bicyclette au pied du sapin devront déchanter.

Voici qui rappelle les années 1950, quand la livraison de la nouvelle automobile était attendue avec impatience. Les professionnels ne bénéficient d’aucun passe-droit. Pierre Dumas, qui tient le magasin de cycles La Via Vélo, aux Angles (Gard), reconnaît des difficultés « à obtenir les vélos commandés, y compris auprès de marques peu connues, en République tchèque par exemple. Quand j’annonce aux clients qu’ils devront patienter quelques mois, ils tournent les talons et je rate une vente ».

La pénurie touche aussi les loueurs de vélos, comme Tony Boivin, à Vaulx-en-Velin (Rhône). En principe, il reçoit dès l’automne un stock de bicyclettes neuves qu’il loue l’été suivant. Mais cette année, « le commercial de mon fournisseur exclusif, la marque Lapierre, m’a expliqué que les modèles étaient en rupture ». Le loueur s’est alors lancé dans une recherche effrénée auprès des vélocistes de sa région, et espère recevoir quelques modèles à assistance électrique « début février ».

« Effet de ciseau »

Le vélo est devenu une denrée rare. Même si les distributeurs et les fabricants n’osent pas prononcer le mot « pénurie », ils admettent que « la forte demande finit par provoquer un goulot d’étranglement », comme le constate Philippe Barichard, chef de marché du réseau Cyclable, qui compte 54 magasins en France. Cette tendance touche aussi bien l’Europe que l’Amérique du Nord et le Japon.

Pour comprendre ces difficultés, il convient de rappeler le paradoxe de la bicyclette : cet objet mécanique est très simple à utiliser, mais sa fabrication nécessite le recours à plus d’un millier de composants différents. Plutôt que de « fabrication », on parle d’ailleurs d’« assemblage », une activité qui consiste à monter chaque exemplaire à partir des pièces détachées, parfois produites sur place, souvent importées. Les plannings de production, très contraints, imposent de prévoir la production près d’un an à l’avance.

Les retards actuels s’expliquent par un enchaînement d’événements, conséquences de cette année 2020 si particulière. « Au tout début de l’année, les grèves ont perturbé les ports français, par où transitent des composants », affirme Virgile Caillet, délégué général de l’Union sport & cycle. Puis, au moment où l’épidémie de Covid-19 surgissait en Chine, les livraisons de pièces ont été ralenties. En mars, lorsque l’Europe s’est calfeutrée, les usines ont cessé de produire. Puis, avec le déconfinement, le désir de vélo a explosé, « provoquant un effet de ciseau parfait, offre basse et demande forte », résume M. Caillet.

La demande n’a pas faibli avec l’automne. A Paris, par exemple, la https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/11/15/reconfinement-six-graphiques-qui-montrent-que-les-francais-sont-plus-mobiles-qu-en-mars_6059796_4355770.html moment d’éphémère sursis entre la grève dans les transports publics en janvier et le premier confinement en mars. Au fond, se déplacer à vélo est apparu partout comme une réponse simple et individuelle aux angoisses collectives provoquées par l’épidémie : méfiance à l’égard des lieux bondés, exercice physique, redécouverte de la proximité.

« Flux tendu »

Revenons à nos pièces détachées. « Les difficultés d’approvisionnement touchent l’ensemble des composants, patins de freins, chaînes, et même les accessoires, comme les casques ou les antivols », affirme M. Barichard, chez Cyclable. Les regards convergent vers un élément essentiel, le mécanisme commandant les vitesses, dont 80 % des exemplaires dans le monde sont fournis par la société japonaise Shimano.

« Nous sommes en flux tendu, comme tous les équipementiers », confirme Mathieu Arrambourg, directeur général adjoint de Shimano pour la France. Les usines du groupe japonais, pour la plupart situées en Asie, n’ont certes connu « que des fermetures partielles, de quelques jours. Mais la demande est en hausse de 30 à 40 %, du jamais-vu », précise-t-il. Le siège de la société, à Osaka, « a validé des investissements pour augmenter la production », assure-t-il.

Mais le groupe, qui emploie plus de 11 000 personnes dans le monde, cherche aussi à éviter, si la demande devait faiblir, les risques de surproduction. Alors, y aura-t-il de la bicyclette à Noël ? Rien n’est moins sûr. Les clients pressés ont intérêt à privilégier « les magasins historiques, qui ont établi depuis longtemps des liens avec les fabricants et qui ont du volume », conseille Antoine Repussard, fondateur de Zenride, une société spécialisée dans le « vélo de fonction ».

Le marché du vélo d’occasion propose aussi de belles pièces, témoigne Antoine Leplay, à La P’tite Rustine, atelier de réparation à Bron (Rhône) : « Le réservoir de vélos à réparer ne se tarit pas et nous ne manquons pas de pièces détachées, issues des cadavres de vélos que nous dépeçons au fur et à mesure ». Les fabricants, distributeurs et équipementiers promettent en chœur un retour à la normale « d’ici un an ». Assurément, on pourra consommer de la bicyclette à Noël, mais à Noël 2021.